Échos d'Évangile

Promesse de dévoilement. Il faut que ça arrive

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

15 novembre 2023

Crédit photo : Júlia Borges / Unsplash

Les deux versets qui suivent ouvrent la troisième et dernière partie de la Source. On dirait que les rédacteurs du document n’ont pas eu le temps d’aussi bien structurer le texte qu’ils l’avaient fait jusqu’ici et qu’ils nous ont laissé les matériaux dont ils disposaient en les arrangeant de façon minimale.

J’ai intitulé cette partie «Vers le dévoilement», prenant appui sur le contenu de la péricope d’ouverture (Q 12,2-3) :

 

Q 12,2 Il ne se trouve rien de voilé qui ne sera dévoilé,

ni de caché qui ne sera connu.

3 Ce que je vous dis dans l’obscurité, dites-le en pleine clarté,

et ce que vous entendez à l’oreille, proclamez-le sur les toits.

 

Ces versets sont plus denses et significatifs qu’il n’y paraît à première lecture.

1. Le premier affirme avec assurance une espérance fragile qui ne se solidifie qu’avec la réflexion et le passage du temps. Les deux membres de phrase sont en parallèle et formulent la même idée en termes différents : alors que dans le présent se fait l’expérience d’une réalité voilée et cachée, dans le futur se découvrira celle du dévoilement et de la connaissance. Or, ce qu’il faut voir, c’est que l’expérience dont parle la Source se répète depuis toujours.

Les humains, en effet, ont vécu, vivent et vivront dans une bulle d’illusions et de mensonges, de non-dits et de ténèbres, d’ignorances et de mystères. Il y a bien sûr le fait que le système a toujours été opaque et a toujours voilé le Sens. Il vit constamment pour lui-même, mettant la planète et l’humanité à son service, tout en les détruisant de l’intérieur. Les murs qu’il dresse sont infranchissables, et les problèmes qu’il crée, insolubles, toujours, tout le temps, partout, dans tous les domaines.

Par exemple, il se dépense des sommes faramineuses pour faire la guerre, mais il n’y a mystérieusement jamais d’argent pour éliminer la pauvreté. Les forces qui, en dehors des feux de la rampent, gèrent le destin de l’humanité ne permettent jamais que les richesses de la planète soient réparties de façon équitable entre les nations, et qu’une vie juste, digne, heureuse et pacifique devienne possible partout, pour tous.

Approchons-nous de l’actualité : qui peut comprendre qu’assassiner quelques dizaines d’enfants en les regardant dans les yeux soit chose tellement horrible qu’elle permette d’en faire sauter cinq mille du haut des airs, sans les voir et avec l’assentiment complaisant des puissants, pour qui déchiqueter des enfants c’est «se défendre»? Qui peut accepter que lui ait été voilée la situation qui a laissé bouillonner la colère désespérée conduisant aux premiers crimes, et que lui soit caché pourquoi les grands laissent le chemin libre à la colère froide qui s’exprime dans le massacre qui a suivi?

Il faut qu’un jour on voit clair, qu’un jour nous sachions ce qui nous est caché maintenant. Et il ne s’agit pas d’un profond et incompréhensible «mystère» religieux. Il nous faut comprendre comment il se fait que nous avons dû vivre la seule vie disponible en étant les jouets de forces cachées qui nous aurons empêchés de la vivre dignement, heureusement, collectivement, sur une planète en santé.

Il y a le système, mais il y a aussi la bulle personnelle dans laquelle chaque être humain vit sa vie. Certes, nous savons plein de choses, et, quand nous les ignorons, un clic sur la Toile et voilà la réponse qui apparaît. Bien sûr ! sauf quand il s’agit des «vraies affaires». Car quel être humain sait qui il est, et ce qu’il est vraiment? Qui voit clairement où se situe sa vie dans le grand sens des choses – si sens il y a…?

Permettez-moi de parler au je : j’ai enseigné et écrit pendant cinquante-cinq ans, et je le fais encore. Mais j’ignore la nature du dynamisme au fond de moi qui me pousse à le faire; je ne sais pas si cela a du sens; et s’il en a de quoi il s’agit; et à quoi cela a servi; et quel effet ont eu ces mots dans la conscience de ceux et celles qui m’ont lu ou entendu; et si, au bout du compte, mon passage dans l’humanité aura été positif. C’est pour moi chose voilée, cachée. Et j’ai, en cela, la conviction d’expérimenter à ma façon personnelle ce qu’est la condition humaine. Et je me dis qu’il faut que nous sachions. C’est pourquoi l’assurance tranquille de mon frère – ou de ma sœur – qui a écrit le premier verset de la péricope me fait beaucoup de bien. Un jour nous saurons. Il le faut.

 

2. Le second verset me réconforte tout autant. Le rédacteur de la Source, en effet, y cherche à rendre compte de la raison de son assurance. Et il rédige son texte sur le même modèle que le premier : deux membres parallèles qui disent la même chose en mots différents. C’est que, même s’il vit à l’intérieur du monde ténébreux créé par le système, le scribe voit clair, et il s’agit d’une lumière qui fait déjà reculer les ténèbres; et il dispose de mots, entendus dans le silence de l’intériorité, qui sont susceptibles d’avoir beaucoup de retentissement.

Comme le dit souvent l’évangile, tout cela est présentement petit, mais aura un grand effet. Tout cela fait beaucoup de bien aux gens désemparés, mais inquiète grandement le système, lequel prospère sous le voile et dans le secret. Certes, les choses clairement vues ne lèvent pas le voile; les mots silencieusement entendus ne percent pas le mystère du Sens. Mais ils font prendre conscience d’une ligne de fond, d’une poussée tapie au creux de l’être, d’une orientation pleine d’espérance dans l’avenir. Un jour, arrivera ce qu’il faut.

Quand cette assurance tranquille, révélée par la péricope, se transmet à qui la lit, le visage s’éclaire, la réalité du Sens fait son effet, et le temps du voile et de l’ignorance devient tout à coup supportable. D’une certaine façon, ce qui doit arriver – il le faut – est déjà là.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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